PenséesFragile2

LES PENSÉES FRAGILES – 1995

Tirages photographiques N&B - Formats 20 x 30 cm - 1987/1998

Interroger le rapport dialectique entre l’image et la parole

Le sous-titre traduit le propos, une pensée rapide, alerte, parfois furtive, une parole souvent courte qui se déroule sur une séquence temporelle longue durant laquelle l’image cinématographique ne cesse de se développer, de progresser.

Cela crée un hiatus entre ce qui est fait – donner à voir, et ce qui est dit – donner à penser.

Jouer sur cette vibration, c’est inviter à réinterpréter la structure narrative de l’histoire unique que nous propose le cinéma mais aussi de l’art et de l’histoire en générale…

J’ai réalisé plusieurs œuvres sur ce sujet.
« Les pensées fragiles » est l’une d’entre elles. C’est une œuvre dont la réalisation s’est déroulée sur un temps long entre 1987 et 1998. Les photographies utilisées pour ce travail sont issues d’un fond de prise de vue de nombreux films (vidéos) sous-titrés.

Sans oublier le milieu de l’art comme sujet principal, mon parti pris ici a consisté à me concentrer sur une captation photographique favorisant la lecture du sous-titre, en laissant l’image se faire par défaut.

Télévision à écran cathodique bombé, lent balayage vertical, basse définition du format VHS, omniprésence de la « neige », prises de vue, développement et tirages agentiques… les contingences techniques que l’époque imposait et mon impératif de préserver la lecture du sous-titre aboutit à des prises de vues souvent très sombres et saturées. Ce sont des images à peines figuratives dont on distingue quelques traits et contours permettant de déterminer ou d’identifier des personnages ou des éléments du décor apparaissant ici et là à travers la trame de l’écran comme à travers celle d’une toile.

Ce faisant, je fais de l’écriture et de la pensée qu’elle porte, la base et l’élément principal du travail qui me permet de m’affranchir des contraintes et des réflexions à propos de la forme. Je déplace la notion d’esthétique du champ du visible, de l’image, vers celui de la réflexion. Même si le travail demeure plastique, celui-ci est délibérément porté par une intention littéraire.

Les prises de vue sélectionnées font l’objet d’un tirage photographique format 20 x 30 horizontal.  Elles sont présentées sous la forme d’un accrochage mural, dispersé en hauteur et en largeur pour à la fois permettre au spectateur de les englober toutes d’un seul regard et à la fois de le contraindre à les regarder précisément pour en prendre connaissance.

Il s’agit d’une accumulation de propos en provenance d’horizons variés et d’histoires différentes qui prennent un sens nouveau lorsqu’ils sont mis en commun et interagissent.

Ce sont des « pensées fragiles », fugaces, qui cohabitent simultanément, rapidement, qui se lisent et s’imposent de façon a priori anarchique et qui s’évanouissent vite comme dans un rêve… Le spectateur se retrouve alors aux prises d’une réflexion en roue libre où une pensée en convoque une autre, qui en suggère une troisième, puis une autre encore… Une pensée chasse l’autre comme sur un cheminement incertain, erratique dans un espace infini générant simultanément de nouveaux liens de pensées entres elles, de nouvelles constructions…

Cette densité vertigineuse permet de s’adresser à l’univers personnel du spectateur de façon suggestive, d’investir la réflexion plus profondément, plus intimement.