La raison d’être de ce site Internet
Mon expérience professionnelle dans le domaine des arts plastiques a été portée par le désir de faire sens. Artistiquement j’ai soutenu l’idée que je pouvais m’emparer d’un objet et le transformer sensiblement en sujet politique en le dotant d’un puissant levier heuristique. J’étais une interface, un instrument de distorsion. J’incarnais une sorte de corps intermédiaire capable, à travers l’exercice d’une maïeutique silencieuse et personnelle, de restituer au public une représentation disruptive et pertinente du monde.
Ces dernières années, j’ai régulièrement été amené à évoquer cette période avec mes proches mais aussi auprès de certaines relations professionnelles. J’ai constaté que la réalité de ces travaux plastiques, dont la réalisation s’étalait sur une dizaine d’années, étaient plutôt abstraite, très fragmentée et leurs motivations peu exposées et disponibles. J’ai donc commencé par répertorier mes archives sur cette période et rassembler des croquis, des réflexions, des documents de recherche et d’inspiration, quelques publications… J’ai beaucoup pensé à mes enfants bien sûr, mais c’était moins à travers l’idée du patrimoine ou de l’héritage que pour nourrir le partage d’expériences et d’idées, pour documenter le traitement formel.
Initialement, ce site Internet a été envisagé comme une intime documentation consacrée à des travaux essentiellement réalisés entre 1987 et 1997, comme un espace de partage destiné à rendre mes propos plus accessibles. C’est sa genèse, sa raison d’être.
1997 ?
J’ai rassemblé tout ce dont je disposais pour ordonner cette petite histoire et la mettre en musique. Puis j’ai déroulé rétrospectivement le fil. J’ai refait le chemin à l’envers, presque les yeux fermés, sans regarder la pelote dans le détail, un peu dans l’obscurité, juste entre mes doigts. Je me suis attardé sur quelques articulations, des dates clés, des rencontres aussi. Je n’ai senti ni rupture, ni nœud, à peine parfois une faiblesse dans l’épaisseur. Et je me suis aperçu que si je pouvais situer le début de ma « période plastique » en 1987, date de ma sortie de l’École des Beaux-Arts, la conclure relevait plus d’une décision pratique et arbitraire que d’une réalité tangible. Certes j’avais mis un terme en 1997 à ma production d’objets factuels, mais ma production artistique n’avait pas pour autant disparu. D’une façon ou d’une autre, entre prises de notes, réflexions et essais littéraires, entre photographies et dessins, mon travail de création n’avait jamais cessé.
LE CONSTAT DE LA CONTINUITÉ
Ensuite, j’ai pris conscience qu’un nombre important de thèmes que j’abordais à travers mes travaux plastiques, peu évoqués il y a 30 ans dans le domaine de l’art et dans la société civile, étaient à présents bien installés dans notre quotidien. Aujourd’hui, l’économie, l’environnement, la politique, l’information, la duplication et leurs corolaires ont rejoint la cohorte des enjeux qu’aborde l’Agence Circomplexe et avec lesquels elle compose, chaque jour, aux côtés des décideurs qu’elle accompagne [1].
Mais le plus remarquable a été de constater à quel point j’avais été capable au fil des années d’inviter mon expérience artistique dans mes différentes responsabilités au sein de l’agence. Si le lien entre le domaine de l’art et mes fonctions de Directeur de créations peut sembler naturel – et dans les faits il n’en est rien, c’est a priori plus surprenant et surtout autrement plus délicat et conséquent à propos des missions de conseil.
LE TEMPS, L’ESPACE ET LE GESTE ARTISTIQUE
Lorsqu’à la fin des années 1990, Chloé Coursaget me sollicite pour travailler à ses côtés, son but n’est pas de dévoyer l’artiste mais bien de solliciter ma dimension conceptuelle et mon capital culturel. Cela signifiait pour moi accepter de soumettre mes intuitions créatrices et mes points de vue à l’exercice tangible de l’économie réelle et mon entendement à l’épreuve d’un public qui n’a pas l’allégorie facile. Aborder les enjeux de transformations sociétales, de mutations économiques ou de réglementations, transformer le concept d’entreprise en raison d’être, introduire une dimension morale et culturelle dans un espace initialement voué aux bénéfices n’est pas une figure de style.
Il n’y a pour autant pas de rupture fondamentale ni au regard de mes préoccupations et de mes engagements, ni au regard de l’intention comme moteur déterminant de la posture artistique. Naturellement, on pourra m’opposer que, conditionnés par la destination de l’exercice, mes dispositifs subissent incontestablement une forte altérité dans la forme qui rend a priori mes prestations inéligibles à l’univers de l’art.
Pourtant, cette succession de missions enrichit et précise la nature de la filiation entre mes différentes activités. En se déroulant sur un temps long, elle aborde le lien étroit et souvent indicible existant entre le passé et le présent et au-delà, elle nourrit la réflexion à propos de la définition du champ artistique tel que me l’adressait Jean-Baptiste JOLY [2]:
« Je me demande depuis longtemps comment on articule des intentions formalisées dans un contexte artistique avec un travail non-artistique, surtout quand il s’agit de soi-même et de l’évolution de son rapport au réel. »
Jean-Baptiste utilise le terme d’intention à bon escient. Tout est là, tout est dit.
La forme ne constitue plus un préalable requis pour exister dans le domaine de l’art plastique. Qu’elle soit conditionnée par sa destination ou par son lieu de monstration, elle est par essence provisoire dans le temps et variable dans l’espace. Débarrassée des contingences matérielles, au risque de perdre de sa plasticité, l’intention engage le point de vue et à travers lui, la nature du regard que l’on porte sur l’œuvre et permet à l’artiste de déplacer la notion d’objet vers celle de sujet.
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[1] Mon propos n’est pas ici de prétendre avoir fait preuve d’une clairvoyance particulière. Comme tout le monde j’ai participé énergiquement (et parfois naïvement) à l’anticipation puis au développement de notre humanité comme un vaste dispositif actif nourrissant ses débordements constants. J’ai fait corps avec cette idée selon laquelle je participais à l’élaboration d’un monde durablement perfectible, j’ai chevauché la bête et contribué activement à ce qu’elle est, en bien comme en mal. J’étais juste dans mon temps.
[2]Jean-Baptiste Joly a dirigé l’Akademie Schloss Solitude durant 29 ans, de son inauguration en 1990 jusqu’en 2018. Lire notamment à ce sujet l’article à la suite de l’entretien de JB Joly avec Nikolai B. Forstbauer, chef du département culturel du Stuttgarter Nachrichten, en 2018