Loi Pacte, statut d’entreprise à mission et taxonomie européenne… Autant de cadres pour impulser la nécessaire mutation de nos logiques économiques. Mais plus qu’à sa conformité réglementaire, c’est à l’intention d’une entreprise et à sa capacité à questionner le sens fondamental de sa démarche que tiennent sa vertu.
Ce qui fait l’intérêt ou la valeur d’une œuvre ne se situe pas dans la maitrise technique, dans sa facture ou dans la nature de la représentation… mais dans l’intention qu’elle porte. L’artiste dispose d’un grand registre de sujets possibles. Il peut convoquer par exemple, la culture et l’histoire bien sûr, mais aussi la géographie, les sciences économiques et sociales ou la politique… Autant de domaines qui permettent de révéler la détermination de l’artiste à envisager la destination de son œuvre non pas comme une proposition égocentrée destinée à la distraction ou à la consommation contemplative, mais comme un objet réflexif [1].
Au-delà de sa capacité à proposer un principe euristique permettant d’aborder ses sujets de façon originale, cela implique de la part de l’artiste de faire du public l’un des éléments déterminants de son œuvre. Il ne s’agit pas là de se soucier de son confort ou d’évaluer son estime, mais d’en faire un élément essentiel du dispositif, un acteur tangible sans lequel nous serions en présence d’une représentation inerte. Toute la puissance et la pertinence de l’œuvre tiennent dans cette intention.
L’œuvre n’est pas un objet, mais un sujet. Là est toute la raison d’être de l’art.
Décorréler efficience et croissance
Aujourd’hui, la promesse d’une mondialisation économique dotée d’un développement équitable s’est muée en une crise d’excroissances protéiformes. Il ne s’agit pas d’une énième perturbation nécessitant des ajustements de trajectoire. Notre société doit faire face à des bouleversements de grande ampleur, à une crise sévère se manifestant par un emballement mécanique touchant simultanément et profondément toutes les sphères de la société.
Les tensions auxquelles elles sont soumises, la limite des ressources disponibles dans un monde fini, l’augmentation permanente des besoins à satisfaire, transforment chacune de ces sphères en un générateur d’externalités négatives.
Mais ce que révèle surtout cette situation inédite, c’est l’interdépendance de nos activités et l’extraordinaire porosité qui les relie, propageant d’une sphère l’autre, comme à travers une vaste caisse de résonance, les nuisances qui font depuis longtemps écosystème.
Parmi les acteurs structurels de notre société, les entreprises se retrouvent particulièrement impactées par ces effets de résonance. Héritières d’une « ancienne économie », souvent uniquement considérée comme un dispositif pourvoyeur de revenus sinon de richesse, l’efficience des entreprises s’est résumée durant des dizaines d’années à sa capacité à créer de la croissance et de la valeur sous forme de bénéfices.
Aujourd’hui, au regard du grand nombre d’externalités négatives qu’elles génèrent et qui contribuent aux bouleversements irréversibles en cours, il paraît bien difficile de continuer à plébisciter les seules performances économiques ou financières.
La réglementation ne se substitue pas à l’intention
Certains acteurs de la vie politique ont bien saisi l’ampleur du problème et, pour y remédier, initient depuis quelques années une législation contraignante afin d’inciter les entreprises à un comportement plus vertueux et encadrer la dynamique du changement vital. RSE, loi PACTE, statut d’entreprise à mission, Loi Vigilance, ESG… Ce sont sans doute là les prémices d’une grande révolution réglementaire qui pourrait modifier considérablement notre perception de l’économie, nos comportements et le regard que nous portons sur nos entreprises durant le siècle à venir. Mais apprécier les vertus d’une entreprise sur sa capacité à se conformer à des critères réglementaires pour éviter un phénomène de stranded asset paraît bien naïf au regard des enjeux qui s’imposent.
Ni la perspective d’un monde en finitude (qui s’impose) ni la mise en place d’une règlementation coercitive, ne permettront, seules, de corriger profondément cette propension qu’a notre modèle néolibéral à transformer n’importe quel obstacle en opportunité économique et commerciale.
Devenir entreprise à mission par destination
Instituer une réglementation sur la base d’une raison d’être ne sera efficient qu’à la condition de lui imposer un cadre moral, une obligation à déterminer la facture de ses produits et de ses services au regard des besoins sociétaux, culturels, politiques et environnementaux et en intégrant ces critères comme des impératifs de rentabilité. La question qui se pose alors (en miroir de la considération de l’artiste pour son public), est celle de l’intention qui motive l’économie d’une entreprise, la nature de sa détermination et la part d’elle-même qu’elle entend consacrer à la notion d’altruisme. En économie comme en art, en conseil comme en création, l’intention est un facteur déterminant. Nous faisons œuvre parce que nous pratiquons l’ouvrage et l’œuvre est l’usage que nous en faisons. En s’obligeant à considérer le public comme un acteur et non pas comme un consommateur, l’entreprise participe au développement du bien commun, fait société et devient entreprise à mission par destination.
Il n’est pas certain qu’une entreprise ait vocation à devenir un œuvre, mais sûrement peut-elle avoir de la conversation.
Dans la presse :
www.mediatico.fr/infos-partenaires/tribunes/en-art-comme-en-industrie-lindispensable-intention/
www.influencia.net/en-art-comme-en-industrie-lindispensable-intention/
[1] On ne demande pas à l’œuvre d’être (très) intelligente mais c’est tout de même mieux lorsqu’elle a un peu de conversation…